mardi 21 novembre 2017

La mauvaise réputation
















Une rétrospective dédiée à Henri-Georges Clouzot à la Cinémathèque de Toulouse, quarante ans après la mort du cinéaste français.
 

Figure incontournable de l’histoire du cinéma français, Henri-Georges Clouzot est cette année à l’honneur. Plusieurs de ses films ayant été restaurés, ils sont de nouveau à l’affiche dans quelques salles de l’hexagone, et le cinéaste a fait l’objet de rétrospectives à la Cinémathèque française à Paris, à l’Institut Lumière à Lyon et aujourd’hui à la Cinémathèque de Toulouse. Né en 1907, d’abord scénariste, Henri-Georges Clouzot fait ses débuts de réalisateur sous l’Occupation en signant en 1942 son premier long métrage, "l'Assassin habite au 21", une comédie policière parfaitement huilée. L’année suivante, "le Corbeau", chef-d'œuvre du réalisme noir, lui vaut d’être viré de la firme allemande Continental, puis d’être temporairement exclu de la profession à la Libération. «Aucun cinéaste n'aura plus lucidement vu venir le temps des assassins, dans toute l'acception collective du terme : un temps où chaque Français moyen peut s'avérer un salaud, où les catégories humanistes de la IIIe République sont gommées par l'omniprésence du soupçon», écrit l’historien du cinéma Noël Herpe. 

En 1947, il tourne "Quai des Orfèvres" (photo), première collaboration avec Louis Jouvet. Après "le Salaire de la peur" (1952) avec Yves Montand, et "les Diaboliques" (1954) avec Simone Signoret, il poursuit du côté du film noir avec "les Espions" (1957), puis filme Brigitte Bardot dans "la Vérité" en 1960. Entre Alfred Hitchcock et Fritz Lang, son goût pour le suspense et sa vision sombre et pessimiste de l’humanité font alors de lui un maître du film noir. Peintre minutieux des descentes aux enfers, son très ambitieux projet "l’Enfer", avec Romy Schneider et Serge Reggiani, reste inachevé à la suite d’ennuis de santé de l’acteur principal et du cinéaste. L’œuvre de Clouzot trahit un permanent souci de renouvellement artistique et tend, films après films, vers l’abstraction. Passionné d’art et collectionneur, il filme l’artiste au travail dans le documentaire "le Mystère Picasso" (1955). En 1968, exploitant des recherches menées pour "l’Enfer", il inscrit son dernier film dans le milieu de l’art : "La Prisonnière" montre un couple en proie à une relation sadomasochiste. Épris de musique classique, il a également réalisé plusieurs captations de concerts dirigés par Herbert von Karajan.

Selon Noël Herpe, «du "Salaire de la peur" aux "Espions", des "Diaboliques" à "l’Enfer", Clouzot s'adonne à une surenchère spectaculaire dans l'expérimentation de la fiction et de ses pouvoirs mystifiants – jusqu'à se retrouver pris au piège de cette omniscience à la Mabuse. C'est d'ailleurs l'époque où il filme d'autres artistes, cherchant à ressaisir le mouvement de la création, quand la sienne se paralyse dans la démesure. Peut-être son génie ne s'est-il jamais mieux épanoui que sous la contrainte. C'était le cas dès "l'Assassin...", où le modèle de la comédie policière “made in Hollywood” laissait libre cours à son goût des jeux de rôles. C'est encore plus vrai dans "Quai des Orfèvres", qui marque, après le scandale du "Corbeau", un parti pris de neutralité et d'invisibilité : on y relève à peine quelques effets manifestes, comme l'enchaînement elliptique des scènes d'introduction, qui ne fait qu'ajouter à la fluidité du découpage. Surtout, c'est le seul de ses films où, sans condamner d'emblée ses personnages, Clouzot les accompagne au plus épais du quotidien, avec leurs difficultés et leurs contradictions ; quitte à les abandonner à leur devenir, à la fois plus criminels et plus humains. Peut-être fallait-il en revenir aux codes du genre pour que ce cinéaste misanthrope se réconcilie (le temps d'un chef-d'œuvre) avec ses semblables.»(1)


Extraordinaire directeur d'acteurs, il était d’une exigence trop perfectionniste pour certains. Inès Clouzot évoque ainsi l’une des qualités de son mari : «Sa franchise. Bon évidemment, il fallait lui répéter : “Ne dis pas de mal à la dame”, ou au monsieur, d’ailleurs. Et j’ai dû moi-même encaisser deux ou trois remarques difficiles à digérer. Il n’était pas tyrannique, simplement il ne pouvait s’empêcher de dire ce qu’il avait sur le cœur.»(2)
 

Jérôme Gac
"Quai des Orfèvres" © collections La Cinémathèque de Toulouse
 

(1) La Cinémathèque française
(2) Libération (10/11/2009)
 

Rétrospective, jusqu'au 26 novembre ;
exposition "le Mystère Clouzot", jusqu'au 18 juillet.
À la Cinémathèque française
, 51, rue de Bercy, Paris.


Rétrospective, du 22 novembre au 23 décembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


lundi 20 novembre 2017

On l’appelait D. D.



















En douze films et une exposition, la Cinémathèque de Toulouse rend hommage à l’actrice Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre dernier à l’âge de 100 ans.


Les cinéastes Marie-Claude Treilhou et Paul Vecchiali rendront hommage à Danielle Darrieux qui s’est éteinte en octobre 2017, à l’âge de 100 ans, à l’occasion d’une rétrospective présentée à la Cinémathèque de Toulouse. De la version française de "Château de rêve" – dirigée en 1933 par Henri-Georges Couzot – au "Jour des rois" qu’elle tourna en 1991 sous la direction de Marie-Claude Treilhou, douze films sont à l’affiche pour retracer le parcours de l’actrice qui débuta à l’écran à l’âge de quatorze ans, s’imposant aussitôt par son naturel éloigné des codes artificiels hérités du muet.


«Je travaillais le violoncelle et, comme toutes les petites filles, je voulais soigner les enfants ou aller voir les animaux malades à l'autre bout du monde. Je n'avais pas d'idée précise de mes souhaits. Le jour où l'on m'a demandé de tourner, j'ai cru que c'était une blague. Je ne me suis aperçue qu'au bout de trois semaines qu'il y avait un micro. Je ne savais pas du tout ce que je faisais. C'est pour cela que j'ai été choisie : j'étais tellement naturelle... Cela ne m'a pas gênée de dire “maman” à un charmant assistant qui me donnait la réplique dans une scène où je devais convaincre ma mère de me laisser aller au bal. Huit jours plus tard, j'ai dû faire un essai plus dramatique : j'avais toujours le même jeune homme en face de moi et ma conviction n'a pas faibli. Pourtant, en 1931, le monde du cinéma était considéré comme un lieu de perdition. Heureusement, mes parents, qui évoluaient dans le milieu de la musique de chambre, ont pris conseil auprès d'artistes qui ont su les persuader... Après ce premier film, je n'ai rien tourné pendant un an : j'étais à l'âge ingrat. J'ai fait mon deuxième film à quinze ans et cela ne s'est jamais arrêté. À partir de ce moment, j'ai compris ce qu'était le métier. Le maquillage me permettait de cacher ma timidité maladive. On ne me voyait plus rougir : j'ai ressenti comme une libération de jouer une autre que moi-même. Jouer quelqu'un d'autre, c'est le paradis. Et avoir la sensation d'être aimée, c'est extraordinaire», racontait Danielle Darrieux.(1)


Selon Paul Vecchiali, «c’est en inventant l’anti-star que Darrieux devient une star, à son corps défendant. Mais quel corps et quel visage, tellement expressifs, auxquels s’ajoute une voix délicate et juste qui sait aussi bien émouvoir que distraire !». Des trois chef-d’œuvres tournés avec Max Ophuls au début des années cinquante, on reverra à la Cinémathèque de Toulouse l’incontournable "Madame de" (photo). L’actrice confessait : «J'adore ce film. C'est même le seul que je regarde avec un vrai plaisir. Je devais être terriblement amoureuse pour dégager de telles ondes. Amoureuse de Max Ophuls, de Charles Boyer, que je retrouvais dix-huit ans après "Mayerling", et de Vittorio De Sica, qui avait un charme fou. J'étais au milieu de ces trois hommes sublimes, comme dans un rêve. D'ailleurs, à l'écran, on voit bien que je suis sur un nuage... Il y a eu un miracle. C'est peut-être aussi parce que c'était mon dernier film avec Ophuls. En tout cas, "Madame de..." restera “mon” film. Celui grâce auquel on ne m'oubliera pas tout à fait... […] Ma rencontre avec Max Ophuls a tout bouleversé... Dès "la Ronde", il y a eu un coup de foudre artistique entre lui et moi. Je crois au miracle des gens qui se croisent. À cette vibration, pas forcément physique, qui peut exister entre deux personnes. Il y a des adorations qui résistent à l'usure du temps, des amis dont on ne peut plus jamais se passer. C'est curieux, mais il y avait entre nous une osmose cinématographique. Il n'avait pas besoin de parler pour que je le comprenne. Quand il est mort, je me suis demandé comment j'allais faire pour jouer. J'étais perdue.»(2)


Pour Paul Vecchiali, «avec Ophuls, elle découvre enfin cette conjonction qu’elle espérait entre le talent et l’art ; élégance et profondeur. Chez Ophuls, l’impression rejoint l’expression. Est-ce un hasard ? […] Max Ophuls lui affirmait “Tu peux tout jouer, surtout les rôles tragiques, parce que tu es toujours un peu ridicule”. Mais, dans l’un des derniers plans de "Madame de...", juste avant la mort, le visage de l’actrice se charge d’incertitudes tragiques, d’évasion, de résignation enfin, évacuant toute notion de ridicule. Danielle Darrieux entre définitivement dans la légende. Les trois Ophuls, mais encore "le Rouge et le Noir" de Claude Autant-Lara confirment sa virtuosité et rehaussent sa beauté. Si tout est à retenir dans "la Ronde, "le Plaisir" ou "Madame de... ", on se souviendra aussi de la scène des allers-retours de Madame de Rénal lorsqu’elle tente de rejoindre Julien Sorel (Gérard Philipe) dans sa chambre. Plus stendhalienne que tout le reste de l’adaptation, cette séquence rend un vibrant hommage à une actrice accomplie.»


Le cinéaste constatait en 2009, à l’occasion de la rétrospective que consacra la Cinémathèque française à l’actrice : «Film après film, elle apporte à ses personnages et aux situations qu’ils traversent une clarté instinctive, née du simple bon sens, enrichie de sensibilité frémissante ou cocasse. Si la vulgarité l’amuse parfois, elle ne supporte pas ce qui est commun. Patiente profondément, impatiente dans l’instant, elle mène sa route avec une lucidité tranquille, jamais dupe des chemins qu’elle emprunte. Les yeux pleins de rêve (sa caractéristique la plus évidente), avec le recul nécessaire, Danielle Darrieux a fasciné cinq générations de cinéastes, traversé plus de soixante-dix ans de cinéma à l’aise, ô combien, dans la comédie comme dans le drame, le burlesque ou le tragique, jouant sa partition en instrumentiste raffinée, regard rivé sur le chef d’orchestre, sans nous proposer, par retenue ou par conscience professionnelle, les déceptions, les frustrations, les appétits, les accomplissements de la comédienne. Les films qui passent n’y changent rien. Complicité permanente avec la caméra, que nuance furtivement un sens inné du dérisoire ; visage offert, corps mobile, disponible, émotion légère prête à s’épandre, emportements fragiles, émerveillements contrôlés», affirmait celui qui l’a dirigée dans "En haut des marches", en 1983. «Son charme, son élégance et sa beauté sont inscrits dans la mémoire du cinéma. Son humilité fera sa grandeur», écrivait encore Paul Vecchiali.


Danielle Darrieux l'assurait : «Les acteurs d'aujourd'hui ont tout compris. Ils sont naturels... Regardez "les Deschiens". Ils sont plus proches de moi que toutes les bourgeoises que j"ai incarnées. J'ai l'impression de leur appartenir! On est là pour s'amuser. Je suis très loin de toutes ces valeurs conventionnelles...»(2)
 

Jérôme Gac
 

(1) La Croix (07/11/2006)
(2) L’Express (24/05/1997)
 

Rétrospective, du 21 novembre au 13 décembre ;
Exposition, jusqu’au 7 janvier.
 

À la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


mercredi 1 novembre 2017

Cartes blanches


















Nouveau festival de la Cinémathèque de Toulouse, Histoires de Cinéma invite Caroline Champetier, Bruno Coulais, Régis Debray, Rémy Julienne, Yannick Haenel, etc.


Nouveau festival de la Cinémathèque de Toulouse, Histoires de Cinéma s’attache à raconter le cinéma à travers les récits de cinq personnalités invitées à présenter leur sélection de films. Une manière de mettre en lumière le patrimoine cinématographique par le biais de cartes blanches confiées à des professionnels du cinéma, mais pas seulement puisqu’on attend la visite du philosophe Régis Debray. Plaçant son dernier roman ("Tiens ferme ta couronne") sous le signe du cinéma, notamment de Michael Cimino (photo), l’écrivain Yannick Haenel est aussi attendu pour «une programmation de films qui s’inscrit dans le prolongement de son dernier roman», explique Franck Lubet, responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse. 


Réalisateurs et acteurs étant exclus des festivités, c’est l’occasion de convier des personnalités moins exposées, mais néanmoins très reconnues pour leur talent : la directrice de la photo Caroline Champetier, le compositeur Bruno Coulais et le célèbre cascadeur Rémy Julienne. La Cinémathèque de Toulouse invite également la Cinemateca Portuguesa qui présentera quelques pépites puisées dans ses archives. Invité exceptionnel, après la rétrospective qui lui fut consacrée au printemps, le documentariste américain Frederick Wiseman rencontrera le public toulousain, à l’occasion de la sortie de son nouveau film "Ex Libris, The New York Public Librairy" – à l’affiche de l’American Cosmograph

En ouverture du festival, Neil Brand accompagnera au piano "Un cri dans le métro" (Underground), deuxième film d’Anthony Asquith qui met en scène un électricien et un porteur de bagages du métro londonien tombant amoureux de la même femme, employée d’un grand magasin. «Neil Brand, le grand compositeur anglais spécialisé dans l’accompagnement de films muets, nous a fait part de son goût pour la comédie et du plaisir qu’il aurait d’accompagner une séance de courts comiques. Un plaisir partagé qui ne se refuse pas. Aussi lui avons-nous proposé une séance de comédies muettes françaises, suivie d’un échange avec Michel Lehmann, autre spécialiste de l’accompagnement musical du muet», précise Franck Lubet.

Jérôme Gac

"La Porte du paradis" © collections La Cinémathèque de Toulouse


Du 3 au 11 novembre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


jeudi 12 octobre 2017

La fin de l’empire




















Le centième anniversaire de la Révolution russe est à l’affiche de la Cinémathèque de Toulouse et du Théâtre national de Toulouse.


La Cinémathèque de Toulouse, avec le Théâtre national de Toulouse, contribuent cet automne au centenaire de la révolution bolchévique en projetant cinq films commémoratifs produits par l’Union soviétique. Trois d’entre eux seront accompagnés par un musicien : les pianistes Michel Lehmann et Michel Parmentier, l’accordéoniste Grégory Daltin. Quatre de ces films ont été produits pour le dixième anniversaire de la Révolution russe : "Octobre" (photo), troisième film de Sergueï M. Eisenstein (après "la Grève" et "le Cuirassé Potemkine"), "La Fin de Saint-Pétersbourg" de Vsevolod Poudovkine, "La Chute de la dynastie des Romanov" d’Esther Choub, "Moscou en octobre" de Boris Barnet. Le dernier film présenté est "Lénine en octobre", de Mikhaïl Romm, sorti en 1937, à l’occasion du vingtième anniversaire de la Révolution d’octobre.


Responsable de la programmation de la Cinémathèque de Toulouse, Franck Lubet note qu’il s’agit de «cinq films qui opposent surtout des points de vue idéologiques sur le cinéma. Le dernier appartient au réalisme socialiste et, culte de la personnalité oblige, la Révolution toute entière est personnifiée par un Lénine incarné, alors que les quatre premiers appartiennent à l’avant-garde des années 1920, poursuivant les recherches d’un langage cinématographique révolutionnaire tout en s’attachant davantage aux événements et aux masses qu’aux leaders. Ainsi, le film de la pionnière Esther Choub est un film de montage d’images d’archives, actualités et documents privés (notamment les films de famille du Tsar), qui est une lecture d’images précédant et annonçant la Révolution − un travail préfigurant celui de Chris Marker. Et puis, à la fresque monumentale d’Eisenstein - véritable film de masses malgré la première apparition d’un Lénine joué et décrié en son temps pour son aspect expérimental - Poudovkine répond par une approche plus intimiste, livrant un incontestable chef-d’œuvre qui rend peut-être encore mieux compte de la grande histoire à travers la petite.»


Jérôme Gac


«Octobre 17», du 14 au 27 octobre, à la Cinémathèque de Toulouse
,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


Ciné-concert, par Michel Lehmann (piano), samedi 14 octobre, 20h30, au TNT,
1, rue Pierre-Baudis, Toulouse. Tél. : 05 34 45 05 05.


mercredi 11 octobre 2017

Jardinier des marges
















La Cinémathèque de Toulouse projette six films de Derek Jarman, cinéaste anglais disparu en 1994.

Plasticien, Derek Jarman signe plusieurs courts expérimentaux en super 8, avant de se faire remarquer en 1975 avec le solaire et rugueux "Sebastiane", son premier long tourné entièrement en latin, une splendide célébration du martyre de Saint Sébastien en icône homoérotique. Suivront encore des courts, mais aussi des spots publicitaires, des vidéos clips (Marianne Faithfull, The Smiths, Pet Shop Boys, Patti Smith) et dix autres longs métrages. Dans la foulée du premier, il tourne "Jubilee", errance extravagante au cœur du mouvement punk londonien. Entre pur classicisme, esthétique contemporaine et manifeste politique, son incontournable trilogie élisabéthaine débute en 1980 avec "The Tempest", se poursuit avec "The Angelic Conversation" - deux adaptations shakespeariennes - avant de s’achever en 1991 avec "Edward II", d’après Christopher Marlowe. 


En 1986, le fameux et somptueux biopic "Caravaggio" (photo) marque sa première collaboration avec Tilda Swinton qui deviendra sa muse, puis sa veine underground s'affirme l’année suivante dans "The Last of England", évocation expérimentale et subversive du déclin de l’empire britannique. En 1989, "War Requiem" sublime la célèbre partition de Benjamin Britten, alors que le plus classique "Wittgenstein" s’intéresse à des épisodes de la vie du philosophe autrichien qui idolâtrait Carmen Miranda. Son dernier film, "Blue", coïncide avec la publication de son ouvrage "Chroma". Entre deux poèmes et des morceaux de musique, sur un écran irradié de bleu de bout en bout, il y livre sa vie quotidienne avec le virus du sida qui l’a rendu aveugle. 


Jarman meurt en 1994, juste avant que l’âge légal des relations homosexuelles en Grande Bretagne ne soit abaissé à 18 ans. Activiste, en lutte contre la politique de Margaret Thatcher, il avait notamment milité pour aligner cet âge légal avec celui en vigueur pour les hétéros, soit 16 ans. Derek Jarman était aussi jardinier : il avait choisi un parterre de galet proche de la mer, dans le Kent, pour y faire pousser ses plantes près d’une centrale nucléaire - «le paradis d’un ange moqueur, avec vue sur l’apocalypse»(1), écrivait Gérard Lefort. Toujours insaisissable, il cultivait l’art de l’anachronisme dans ses films d’époque et s’appliquait à relier des univers esthétiques à des contextes inattendus (des punks à Buckingham Palace, des militants gays à la cour d’Edward II). 


Poète des marges, esthète en colère, il laisse des visions baroques à la gloire des corps. Pour le journaliste Gérard Lefort, «à regarder le ciné-Jarman on songe souvent aux splendeurs du muet, au cinéma primitif, à celui de Méliès. […] Le cinéma de Jarman est comme une fiole de poppers sous nos narines endormies. À respirer à fond, avec les effets afférents dénombrés par l’impeccable Tilda Swinton : “Le foutoir, l’argot, la musique de Simon Fisher Turner, les vrais visages, l’intellectualisme, la mauvaise humeur, la bonne humeur, l’insolence, les normes, l’anarchie, le romantisme, le classicisme, l’optimisme, l’activisme, la jubilation, l’orgueil, la résistance, l’esprit, la lutte, les couleurs, la grâce, la passion, la beauté”.»(1)


Jérôme Gac


(1) Libération (26/03/2008)


Rétrospective, du 11 au 27 octobre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


Et aussi : "Chroma", mise en scène de Bruno Geslin,
du mercredi 11 au jeudi 12 octobre, 20h00, au Théâtre Sorano
,
35, allées Jules-Guesde, Toulouse. Tél. : 05 32 09 32 35.


vendredi 8 septembre 2017

En attendant l’apocalypse


















Après des hommages rendus à Louis Delluc, Sergueï M. Eisenstein, Danielle Darrieux, Henri-Georges Clouzot, Costa-Gavras ou Samuel Fuller, la saison de la Cinémathèque de Toulouse s’achèvera avec les films de Francis Ford Coppola.


Si la saison de la Cinémathèque de Toulouse s’ouvre sur «Les films qu’il faut avoir vus», elle se poursuivra dans l’underground avec les œuvres du cinéaste anglais Derek Jarman, mort des suites du sida en 1994. La salle de la rue du Taur contribuera cet automne au centenaire de la Révolution russe en projetant cinq films commémoratifs produits par l’Union soviétique : quatre d’entre eux le furent pour le dixième anniversaire ("Octobre" d’Eisenstein, "La Fin de Saint-Pétersbourg" de Poudovkine, "La Chute de la dynastie des Romanov" d’Esther Choub, "Moscou en octobre" de Boris Barnet), et "Lénine en octobre" de Mikhaïl Romm pour le vingtième anniversaire, en 1937. Sergueï M. Eisenstein sera d’ailleurs à l’honneur avec une rétrospective au début de l’année, après Henri-Georges Clouzot à l’automne. 


Avant les fêtes, la Cinémathèque de Toulouse célèbrera le centième anniversaire de l’exquise Danielle Darrieux (photo), avant un hommage à Costa-Gavras, en sa présence. Au printemps, le cinéma militant sera à l’affiche, ainsi que les films du groupe Zanzibar, ce collectif d’artistes d’avant-garde et de cinéastes (Philippe Garrel, Jackie Raynal, etc.), actif à la fin des années soixante. Le cinéaste finlandais Aki Kaurismaki est attendu à Toulouse à l’occasion de la rétrospective qui lui sera consacrée au printemps. Deux cinéastes américains seront aussi à l’honneur cette saison: Samuel Fuller au cours de l’hiver, puis Francis Ford Coppola avant l’été. L’archive toulousaine s’intéressera également à Nollywood, à savoir le cinéma nigérien qui produit désormais chaque année, en vidéo, davantage de films qu’Hollywood. 

Deux thématiques interrogeront le cinéma : on se demandera «Qu’est-ce que le cinéma ?», et il sera question de «Je double et double jeu» ou comment jouer «sur les effets de ressemblance et la mise en scène du double, du mimétisme à la duplicité, de la dualité à l’unicité», précise Franck Lubet, responsable de la programmation. Si Extrême Cinéma poursuit sa route avec une dix-neuvième édition en préparation, le festival Histoires de Cinéma fera son apparition en novembre prochain. Cette nouvelle manifestation prend la place du festival Zoom Arrière avec l’objectif de mettre en lumière le patrimoine cinématographique par le biais de cartes blanches confiées à des invités. La Cinémathèque de Toulouse accueillera ainsi cette année la directrice de la photographie Caroline Champetier, le compositeur Bruno Coulais, les écrivains Yannick Haenel et Régis Debray, le cascadeur Rémy Julienne.

Enfin, Louis Delluc - l’inventeur du terme «cinéaste» - sera le fil rouge de la riche saison de ciné-concerts. Comme l’assure Franck Lubet, «à une époque où le cinéma était encore méprisé, Louis Delluc lui a donné ses lettres de noblesse. D’abord par la plume, créant une véritable ligne critique, puis derrière la caméra, impulsant la première avant-garde française, l’impressionnisme, aux côtés de Gance, Dulac, Epstein, L’Herbier et Clair. Le tout sur une période très courte, de 1917 à sa mort prématurée en 1924. Il faut revoir ses films d’une prophétique modernité. Par la sobriété du jeu et l’utilisation des décors naturels. Dans sa manière de saisir l’invisible, les sentiments, à travers la composition de ses plans. Louis Delluc croit en l’image et travaille ses cadres pour en faire le principal vecteur d’expression. Sous sa plume, le cinéma est sorti de sa chrysalide. Sous sa caméra, il a pris un nouvel envol. Maudits comme on dit des poètes, ses films ont subi l’emprise du temps. En reste cinq des sept qu’il a réalisés. Restaurés, nous pourrons les redécouvrir en regard de quatre films américains majeurs sur lesquels il a écrit.»


Jérôme Gac


«Les films qu’il faut avoir vus», du 12 au 27 septembre,
«Je double et double jeu», du 11 au 31 octobre,
«Octobre 17», du 14 au 27 octobre.


Présentation de la saison, jeudi 14 septembre, 18h00,
à la Cinémathèque de Toulouse
, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.


mardi 5 septembre 2017

Groland is in the air


















La sixième édition du Festival international du Film grolandais de Toulouse célèbre Kenneth Anger et invite Alain Guiraudie, Xavier Seron, Pierre Salvadori, etc.


Projections de courts et longs inédits, documentaires, rétrospectives, performances, concerts, rencontres littéraires sont au menu du Festival international du Film grolandais de Toulouse ! Pour cette passionnante et foisonnante édition, le sixième jury chargé de remettre l’Amphore d’or du film le plus grolandais pioché dans la compétition sera présidé par l’excellent cinéaste Pierre Salvadori. Ce dernier sera en belle compagnie puisque entouré notamment de l’acteur Daniel Prévost, des humoristes Blanche Gardin et Stéphane Guillon, de l’écrivain Jean-Hugues Oppel, etc. et toujours les indétrônables Jean-Pierre Bouyxou et Noël Godin - membres à vie du jury. Le public est lui aussi invité à décerner son prix parmi ces films «d’esprit grolandais», ainsi qu’un jury constitué d’étudiants de l’École supérieure d’Audiovisuel (Esav). 


Plusieurs ouvrages concourent également pour le Gro prix de littérature grolandaise, dont un "Manuel à l’usage des femmes de ménage", un ouvrage collectif intitulé "les Homophobes sont-ils des enculés ?", un recueil de textes parus dans la presse signés Jean-Bernard Pouy, ou encore 132 chroniques de Christophe Bier pour France Culture regroupées dans "Obsessions"… Pour l’occasion, des rencontres avec les auteurs sont organisées à la Cave Poésie, à Ombres Blanches et à la librairie du Grand Selve.


Parmi la centaine de projections annoncée à Toulouse et au-delà, Fifigrot célèbre cette année le quatre-vingt-dixième anniversaire de Kenneth Anger, cinéaste culte underground. Rassemblées sous le titre "Magick Lantern Cycle", ses œuvres les plus connues seront visibles à la Chapelle des Carmélites, tout comme son ésotérique "Inauguration of the Pleasure Dome" projeté en format 16 mm d’origine et accompagné de performances. Alors que les courts métrages insensés de David Lynch seront à l’affiche de l’American Cosmograph, son premier long, "Eraserhead", le sera au Cratère. On retrouvera l’indispensable Alain Guiraudie venu présenter ses deux moyens métrages et son premier long, on reverra trois films du Suédois Roy Anderson et ceux de l’Américain Harmony Korine. Le réalisateur Belge Xavier Seron sera à l’honneur le temps d’une longue soirée de projections au Gaumont Wilson. 


Au lendemain de la projection à l’American Cosmograph du film d’ouverture en avant-première, "The Square" (photo) du Suédois Ruben Östlund palmé à Cannes, les fans de la drive-in attitude sont attendus sur le parking de Mix’Art Myrys pour apprécier le délirant "Hamburger Film Sandwich", de John Landis, accompagné d’une sélection de courts-métrages, de performances, concerts, etc. Un hommage sera rendu au mouvement Panique - né dans les années 1960 autour d’esprits libres et transgressifs - avec des films de Fernando Arrabal ou Alejandro Jodorowsky, et une exposition dédiée à Roland Topor aux Abattoirs. Le musée accueille également l’Américain Mother Fakir venu exhiber la dernière version déchirante de sa performance "Karrosserie", où se mêlent le métal, la chair percée, la vidéo et les son mixés dans un rituel tranchant. Au Théâtre Garonne, on s’immergera dans les 52 épisodes du "Dispositif" monumental de Pacôme Thiellement et Thomas Bertay.


La sélection Gro’Z’ical propose cette année une plongée dans le Berlin-Ouest de l’après punk, autour des Geniale Dilletanten («dilettantes géniaux»). Une exposition au Goethe Institut racontera comment ce mouvement artistique et alternatif des années quatre-vingt a opéré une rupture brute avec les conventions de l’époque, fondant des labels, des magazines et boîtes autonomes pour célébrer une liberté créatrice sans règles. Signalons une carte blanche confiée aux Québécois du Festival du Nouveau Cinéma de Montréal, et les traditionnelles sections Made In Ici, Jeune Public, Gro Guest, etc. 


Toujours en partenariat avec le collectif Culture Bar Bars, les ciné-bistrots s’installent cette année dans une douzaine de troquets : l’Esquile, le Taquin, Le Chat Noir, le Nasdrovia, le Txus, La Mécanique des Fluides, L’Impro, Le Moloko, Le Communard, Le P’tit London, Le Petit Vasco, L’Autruche. Surtout, le grovillage installé dans la cour de l’Esav accueillera chaque soir moult animations grolandaises et autres concerts gratuits. Et en clôture des festivités, des concerts se déploieront le 23 septembre autour du musée des Abattoirs. Banzai !


Jérôme Gac



Fifigrot, du 15 au 24 septembre, à Toulouse ;
Grovillage, de 12h00 à 22h00, à l’Esav,
56, rue du Taur, Toulouse.


mardi 30 mai 2017

Éloge de la loose
















La Cinémathèque de Toulouse consacre une rétrospective à Joel et Ethan Coen, cinéastes américains qui réinventent les genres depuis trente ans.
 

Les films des frères Coen sont à l’affiche de La Cinémathèque de Toulouse, le temps d’une rétrospective qui englobe l’intégralité de leurs longs métrages depuis le premier, "Sang pour sang" (Blood Simple), qui connut en 1984 un certain succès. Hommage au roman et au film noir américain, "Sang pour sang" dévoile les prémices d’un univers aujourd’hui bien identifié, celui que les natifs de Minneapolis déclinent à chaque opus. «Nos films sont des collages. Cormac McCarthy disait : «“Les livres sont faits d'autres livres”»(1), assurent-ils. 

D’un genre à l’autre, le cinéma de Joel et Ethan Coen réactualise le cinéma américain avec une jubilation gourmande : le burlesque pour "Arizona Junior" (1986), le film de gangster pour "Miller’s Crossing" (1989), la fable pour "le Grand Saut" (1993), le policier pour "Fargo" (1996), la comédie pour "The Big Lebowski" (1998) ou "Intolérable cruauté" (2002), le film d’évasion pour "O’ Brother" (1999), le film noir  pour "The Barber" (2001), le western pour "No Country for Old Men" (2006), le film d’espionnage pour "Burn After Reading" (2007), etc. Même dans une success-story très sensible comme "Inside Llewyn Davis" (2012), inspirée de la vie du folk singer Dave Van Rock, les Coen célèbrent toujours les anti-héros, qu’ils soient simples abrutis, pauvres types, piètres brutes, véritables salauds, ou aspirant juste à suivre leur route sans histoires. 


Mais dans le destin tout tracé de ces personnages de l’Amérique profonde, dans le scénario bien huilé que ces petites gens ont imaginé pour se rendre la vie un peu meilleure, un grain de sable viendra enrayer la machine... Et les Coen ne sont vraiment pas du genre à épargner leurs créatures, les plongeant dans un labyrinthe kafkaïen duquel ils n’auront de cesse de tenter de s’extirper. En 1991, les frères remportent la Palme d’or au Festival de Cannes avec "Barton Fink", leur quatrième film qui marque le début de leur carrière internationale. Où un jeune scénariste (John Turturro, prix d’interprétation à Cannes) débarque dans le Hollywood des années quarante, avant de sombrer dans une crise d’inspiration. 


«On lit peu de science-fiction, et beaucoup de livres d'histoire. On prend plus de plaisir à recréer un monde qui n'existe plus, qu'à inventer un monde qui n'a jamais existé. Y compris lorsqu'on remonte le temps de quelques années seulement, comme dans "Fargo" ou "The Big Lebowski". Rendre avec justesse les moindres détails, essayer d'imposer un point de vue original... Le passé nous semble plus exotique que le présent ou le futur»(1), assurent-ils. Polar impitoyable et pourtant réjouissant, tourné dans le Minnesota de leur enfance, "Fargo" reçoit l’Oscar du meilleur scénario. Frances McDormand – la femme de Joel Coen - décroche celui de la meilleure actrice pour son rôle de flic enceinte menant l’enquête. Ils enchaînent aussitôt avec un nouveau film culte, "The Big Lebowski" (photo) ou les mésaventures hilarantes et insensées du Dude (Jeff Bridges), un gars qui voulait juste qu’on lui foute la paix. 


Si les stars se bousculent aujourd’hui pour jouer sous leur direction, de George Clooney à Brad Pitt en passant par John Malkovich, Catherine Zeta-Jones ou Scarlett Johansson, les frères Coen croulant sous les récompenses se gardent bien de céder aux sirènes du succès. «Nous montons nos films sur des budgets bien plus réduits mais nous avons une autonomie totale, une liberté créatrice dans notre travail. Impossible de disposer d'une telle liberté quand 150 millions de dollars sont en jeu»(2), déclaraient-ils lors de la sortie en salles de leur dernier film, "Ave César !", une plongée incisive dans le Hollywood des années cinquante.
 

Jérôme Gac
"The Big Lebowski" © collections La Cinémathèque de Toulouse
 

(1) Le Monde (05/11/2013)
(2) lepoint.fr (16/02/2016)
 

Rétrospective, du 1er au 30 juin, à La Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


lundi 1 mai 2017

La comédie humaine
















Quatorze films du documentariste américain Frederick Wiseman sont projetés à la Cinémathèque de Toulouse.


Épris de théâtre, Frederick Wiseman a mis en scène Catherine Samie à la Comédie-Française, dans deux monologues : "la Dernière lettre", d’après Vassili Grossman, et "Oh ! les beaux jours", de Samuel Beckett. Juriste de formation et avant tout documentariste, il produit et réalise depuis cinquante ans des films qui captent le réel au cœur des communautés occidentales. Il s’est ainsi infiltré en 1996 dans les coulisses de la Comédie-Française, et plus tard à l'Opéra de Paris pour "la Danse, le ballet de l'Opéra de Paris" (2008), puis au "Crazy Horse" (2010). Choisissant les Américains pour sujet principal de ses œuvres, il restitue la vie quotidienne de ses contemporains en posant sa caméra dans des lieux symboliques : prisons ("Titicut Folies", 1967), écoles ("High School", 1968 ; "High School II", 1994 ; "Art Berkeley", 2013), commissariats ("Law and Order", 1969), hôpitaux ("Hospital", 1970 ; "Near Death", 1989), armées ("Basic Training", 1971 ; "Missile", 1987), tribunaux ("Juvenile Court", 1973), grand magasin ("The Store", 1983), parlements ("State Legislature", 2006). 


Observateur de la société, il s’intéresse aussi bien aux mannequins qui brillent dans la mode ("Model", 1980) ou aux danseurs du New York City Ballet ("Ballet", 1995), qu’aux populations moins favorisées sollicitant un centre d'aide sociale de New York ("Welfare", 1975) ou résidant dans des logements sociaux d’un ghetto noir à Chicago ("Public housing", 1997). Qu’il filme les moines bénédictins d’un monastère du Michigan ("Essene", 1972), les New-yorkais au cœur de Central Park ("Central Park", 1989), le quotidien d’une station de sports d’hiver ("Aspen", 1991), les habitants d’une petite ville côtière de la Nouvelle Angleterre ("Belfast, Maine", 1999), les clients d’un club de boxe d’Austin ("Boxing Jim", 2000), la vie des associations d’un quartier du Queens, à New York ("In Jackson Heights", 2015), Frederick Wiseman ne cesse d'écouter et de regarder en privilégiant les longs plans séquences. 


«Ce qui me travaille chaque fois c’est le quotidien. Il faut entrer partout, dans les boutiques, les institutions, les lieux de culte, les restaurants, pour capter tous ces aspects du quotidien que sont le triste, le comique, le tragique, le banal… Il ne s’agit pas de “vérité”, mot qui me fait partir en courant, mais de donner le sentiment du réel, de l’alimenter»(1), assure-t-il. Le cinéma de Wiseman n’est peuplé que de personnes ayant donné leur accord pour être filmées, il n’est pas prévu de lumière additionnelle durant le tournage en équipe réduite, et la bande sonore est celle qui est captée pendant la prise vue - on n’y entend donc aucune musique ajoutée au montage, ni de voix-off. «On reproche parfois l’absence de commentaire dans mes films. Pour moi, c’est le montage lui-même qui est le commentaire : ma démarche se veut plus narrative que didactique. On me reproche aussi leur longueur : je crois qu’en tournant, je me crée une obligation morale avec le sujet et les gens que je filme, et aussi avec ceux qui seront les spectateurs», prévient le cinéaste.


Les œuvres de Frederick Wiseman sont d’immenses fresques où frétille la comédie humaine, des nébuleuses où la vie prend le temps de jaillir au rythme d’un montage patiemment ciselé durant de longs mois de travail. «Réaliser un film documentaire, c’est procéder à l’inverse d’un film de fiction. Dans la fiction, l’idée du film est transposée dans le scénario par le travail du scénariste et du metteur en scène, opération qui, évidemment, précède le tournage du film. Dans mes documentaires, c’est l’inverse qui est vrai : le film est terminé quand, après montage, j’en ai découvert le “scénario”…», confesse Frederick Wiseman. Le tout pourrait s’apprécier «comme un seul et très long film qui durerait quatre-vingts heures», constate-t-il. Quatorze films du cinéaste américain sont à l’affiche de La Cinémathèque de Toulouse, le temps d’une rétrospective couplée à une journée d’études à l’Université Jean-Jaurès.


Jérôme Gac

"Central Park" © collections La Cinémathèque de Toulouse
 

(1) L’Humanité (23/03/2016)
 

Rétrospective, du 3 au 31 mai, à La Cinémathèque de Toulouse.
 

Journée d’études, vendredi 19 mai,
de 9h00 à 12h00, à l’Université Toulouse Jean-Jaurès
,
5, allées Antonio-Machado, Toulouse
de 14h00 à 18h00, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 10.


dimanche 9 avril 2017

Le retour



















La Cinémathèque de Toulouse projette quinze films du cinéaste polonais Jerzy Skolimowski, à l'occasion de la sortie en France de "11 minutes".
 

Formé à l'École nationale de cinéma de Lodz, Jerzy Skolimowski s’affirme rapidement comme l’un des fers de lance de la Nouvelle Vague polonaise, avec notamment Roman Polanski, signant ainsi en 1962 le scénario du "Couteau dans l'eau", premier long métrage de celui-ci. Acteur occasionnel, boxeur amateur ou encore batteur de jazz, ses trois premiers films ("Signe particulier: néant", "Walkover", "La Barrière") forment une trilogie dont le héros est un jeune homme en colère qui ne trouve pas sa place dans la société. La signature cinématographique de Jerzy Skolimowski témoigne d’un engagement physique et d’une pulsion vitale qui irriguent une mise en scène très personnelle, aux envolées surréalistes, et un montage syncopé. 

En 1967, il filme Jean-Pierre Léaud dans "le Départ" (photo) - tourné en Belgique en moins d’un mois – qui reçoit l’Ours d’or au festival de Berlin et lui apporte une reconnaissance internationale. La même année, la censure polonaise interdit de sortie son film antistalinien "Haut les mains", qui ne sera distribué qu’en 1981 en Pologne. Il s’exile alors en Grande-Bretagne, où il réalise le magnifique "Deep End". «Mes films ne sont pas issus de projets conceptuels compliqués, c’est beaucoup plus simple. Je filme ce que je vois, ce que je ressens. "Deep End" est peut-être marqué par le regard d’un étranger sur l’Angleterre. Un stand de hot dogs me fascinait parce que ça n’existait pas en Pologne, alors que les Anglais ne le remarquaient même plus», constate Jerzy Skolimowski.(1)

Après "le Cri du sorcier" (1978), "Travail au noir" (1982) ou "le Bateau phare" (1985), il adapte en 1991 "Ferdydurke", de Witold Gombrowicz, un des romans majeurs de la littérature polonaise. Jerzy Skolimowski racontera plus tard : «Mon dernier film, il y a dix-sept ans, "Ferdydurke", était plutôt médiocre. Je n'aurais pas dû tenter de porter à l'écran le roman de Gombrowicz, qui est inadaptable, et en plus je l'ai fait en anglais. Cela m'a conduit à la décision de faire une pause, sans prévoir qu'elle allait durer dix-sept ans. Je me suis réfugié dans la peinture. J'ai peint tout au long de ma vie, mais avant je n'avais pas le temps. Là, je me suis mis à peindre vraiment, avec un certain succès. J'ai eu plusieurs expositions, aux États-Unis et en Europe. J'ai vendu mes toiles, y compris à Jack Nicholson et à Dennis Hopper. Il faut dire aussi que je vis à Malibu, que le temps y va à un autre rythme qu'en Europe, et que cela a été des vacances prolongées.»(2) 


Revenu se ressourcer en Pologne, il retrouve une vigueur fulgurante en signant "Quatre nuits avec Anna" en 2008, puis "Essential Killing" avec Vincent Gallo en taliban (2010). La Cinémathèque de Toulouse saisit l’occasion de la sortie française de son film "11 minutes" pour lui consacrer une rétrospective de quinze films, puisés dans une filmographie riche de dix-sept longs métrages réalisés à ce jour.

Jérôme Gac


(1) Les Inrocks (7/04/2011)
(2) L’Humanité (8/11/2008)


Rétrospective, du 11 avril au 4 mai.
Rencontre avec J. Skolimowski, mercredi 19 avril, 19h00.
La Cinémathèque de Toulouse
, 69, rue du Taur, Toulouse.
Tél. : 05 62 30 30 11.
 

"11 minutes", dans les salles le 19 avril.

mercredi 1 février 2017

Sex addict














Le festival Des Images aux Mots invite le cinéaste canadien Bruce LaBruce à l’occasion d’une rétrospective à la Cinémathèque de Toulouse.
 

Subversive et underground, surfant sur le porno et le loufoque, l’œuvre cinématographique de Bruce LaBruce s’est épanouie durant les 90’s, en pleine vague queer. En France, il doit à Jack Lang sa consécration médiatique lorsque ce dernier demande à la ministre de la culture de l’époque (Catherine Trautmann) de «désixer» son troisième long métrage, "Hustler White" (photo) - classé X par la commission de censure en 1997. Le cinéaste s’y met en scène dans le rôle d’un écrivain amoureux, en quête d’un prostitué arpentant les trottoirs de Santa Monica Boulevard, à Los Angeles, prétexte à un panorama de pratiques sexuelles aussi trashes que rocambolesques dans les sex-clubs gays les plus reculés de la Cité des anges. 

«Mes parents étaient des fermiers assez réacs, et aujourd’hui encore ils vivent coupés du monde, sans Internet. J’ai grandi pendant les années 70 en tant que gay dans un monde très dur, où je ne pouvais pas assumer mon homosexualité. C’est à cette époque que j’ai fait la première fois l’expérience de la répression, et j’ai commencé à développer une haine contre les normes, les conventions, tout ce qui nous empêche. […] Je me sentais complètement étranger à la culture gay telle qu’elle évoluait dans les années 80 ; je la trouvais beaucoup trop bourgeoise, trop mainstream. Et je ne supportais pas non plus les punks, qui avaient pour la plupart des comportements très homophobes. […] J’ai toujours eu horreur de la technique au cinéma, donc je suis parti de rien avec une petite caméra et j’ai tourné mes premiers courts-métrages très axés sur le cul. Je voulais filmer une sexualité masculine hardcore : c’était ma revanche contre les années d’oppression que j’avais eu à subir», raconte Bruce LaBruce.(1)


Photographe évoluant dans le milieu du porno, il finit par tourner en 1999 un porno gay ("Skin Flick") pour une firme berlinoise spécialisée. Dix ans plus tard, il engage le Français François Sagat, star internationale du porno gay, pour le rôle d’un zombie dans le très sexué "L. A. Zombie". Surprenant, son dernier film sorti en salles, "Gerontophilia", est une merveille d’épure et de sensibilité qui montre comment un garçon de dix-huit ans tombe amoureux d’un homme de quatre-vingt-deux ans. 


«J’en avais marre de m’adresser toujours à la même catégorie de spectateurs. Tu finis par te sentir vraiment déconnecté du monde. "Gerontophilia" a été un bon challenge dans ce sens: je voulais rester fidèle à ma pensée, faire un film qui me ressemble, mais dans une économie et un style qui soient beaucoup plus accessibles… […] C’est naïf de penser que l’on peut viser un plus large public et rester underground. Je sais qu’on me demandera un jour de choisir», constate le cinéaste qui rencontrera le public de La Cinémathèque de Toulouse, à l'invitation du festival Des Images aux Mots.

Jérôme Gac


(1) Les Inrocks (26/03/2014)


Rétrospective, du 7 au 11 février, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


Festival Des Images aux Mots, du 6 au 12 février, à Toulouse,
du 20 au 26 février, en région
.


vendredi 27 janvier 2017

L’humaniste




















La Cinémathèque de Toulouse affiche une rétrospective dédiée au cinéaste japonais Akira Kurosawa.

Après la signature de la paix entre les États-Unis et le Japon, en 1951, les films japonais s’imposent aussitôt dans les festivals européens. L’Europe découvre une cinématographie jusque-là inconnue lorsque "Rashômon", d’Akira Kurosawa, obtient le Lion d’or à Venise cette année-là, propulsant le cinéaste en fer de lance du cinéma japonais. Né en 1910, celui-ci venait alors de réaliser "l'Ange ivre" (1948) - confrontation d’un médecin alcoolique et d’un jeune homme refusant de traiter sa tuberculose - qui marque sa rencontre avec son acteur fétiche Toshiro Mifune, avec lequel il totalisera seize collaborations.

Entre film noir américain et expressionnisme européen, "l'Ange ivre" est un grand succès à sa sortie au Japon et lance la carrière du cinéaste et celle de l’acteur. Ils se retrouvent l’année suivante dans "Chien enragé", errance d’un policier en quête de son pistolet de service dérobé par un pickpocket. Mifune y partage encore l’affiche avec Takashi Shimura, l’autre acteur fétiche de Kurosawa. Deux œuvres dont le style est caractéristique des films qu’il signe durant cette période, où la fièvre du réalisme urbain se mêle à un humanisme fertilisé sur les ravages causés par la guerre.


Se détournant des studios de l’époque, Kurosawa s’est libéré des conventions en créant sa société de production. S’il s’emploie à restituer les mutations de la société japonaise de sont temps, il sera surtout célébré pour ses films historiques. Mais le cinéma de Kurosawa est toujours traversé par un humanisme triomphant qui ne cesse de s’approfondir au fil des années. En 1975, "Dersou Ouzala" (photo) - Oscar du film étranger - décrit ainsi une amitié transgénérationnelle avec pour décor les splendeurs de la taïga soviétique. Toujours au plus près de ses personnages, le cinéaste atteint l’universel tout au long d’une filmographie s’étalant, dès 1943, sur cinquante années d’activité.

Influencé par la culture occidentale, il réalise en 1951 "l’Idiot", d’après Dostoïevski, et signe en 1957 deux adaptations de classiques européens : "les Bas-fonds" d’après la pièce de Gorki, et "le Château de l’araignée" d’après "Macbeth", de Shakespeare - il se serait également inspiré d"Hamlet" en 1960, pour "les Salauds dorment en paix". Après avoir obtenu la Palme d’or à Cannes pour "Kagemusha", il livre en 1985 "Ran", une transposition du "Roi Lear" dans le Japon du XVIe siècle. À 73 ans, soit l’âge du Roi Lear, il est alors au sommet de son art.

Adulé par de nombreux artistes, Kurosawa voit ses chefs-d’œuvre recyclés en Occident: "Les Sept samouraïs" (1954) et "Yojimbo" (1961) deviennent "les Sept mercenaires" en 1960 et "Pour une poignée de dollars" en 1964. Dix-neuf ans après la disparition du maître japonais, vingt-quatre de ses films sont projetés cet hiver à la Cinémathèque de Toulouse.


Jérôme Gac


Du 27 janvier au 15 mars, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


vendredi 6 janvier 2017

Né en 68


















La Cinémathèque de Toulouse invite le cinéaste Bertrand Bonello pour une rétrospective et une carte blanche.
 

Musicien de formation, Bertrand Bonello est un cinéaste autodidacte : «J'avais mon propre groupe, modestement baptisé Bonello, mais nous n'avons jamais percé. A l'époque, on n'avait pas encore vécu la révolution des “home studios”, on ne pouvait pas bricoler chez soi et se produire seul. La scène française était minuscule. C'était la grande époque du Top 50, tout était formaté, il fallait un 45 tours à succès pour avoir la chance d'enregistrer un album. Rien n'avançait. Épouvantable ! J'ai cette époque en horreur. J'étais devenu musicien de studio pour des artis­tes comme Françoise Hardy, Elliott Murphy ou Carole Laure. Je gagnais bien ma vie, mais j'étais pris de panique à l'idée que, le temps passant, je pourrais atteindre le pic de ma carrière en jouant, à 40 ans, derrière Johnny Hallyday. "Stranger than Paradise", de Jim Jarmusch, m'a laissé entrevoir que le cinéma pouvait être aussi excitant que la musique»(1), raconte Bertrand Bonello.

En 1996, il finance son premier court métrage, "Qui je suis" – d'après un poème autobiographique de Pier Paolo Pasolini – avec le cachet d’une tournée. Il quitte alors sa première vocation mais composera désormais lui-même la musique de ses films. Son premier long métrage, "Quelque chose d'organique", sort en 1998. Trois ans plus tard, "le Pornographe" laisse entrevoir un univers aux obsessions qui se confirmeront à chaque étape d’une filmographie atypique couronnée en 2016 par le flamboyant "Nocturama". Sexe et huis clos sont en effet déjà au menu du "Pornographe", portrait d’un réalisateur en plein tournage dans une maison bourgeoise. 

«Je crois que ça vient du fait que je m'intéresse d'abord à des lieux marginaux, et qu'il se trouve que ces lieux ont souvent un rapport avec la sexualité. Dans "le Pornographe", c'était le milieu un peu inavouable du porno, dans "Tiresia" (2003), c'était la transformation mythologique, dans "l'Apollonide" (2011), c'est le huis clos du lupanar. Mais je ne me considère pas pour autant comme un cinéaste qui travaille spécifiquement cette question du sexe, comme peut l'être, par exemple, Catherine Breillat. Le huis clos oui, mais dans le sens le plus noble du terme. Un lieu qui coupe du réel et qui permet une infinité de choses qui tendent à le réinventer. Il s'agit de recréer un monde dans le monde. Il y a aussi dans le huis clos l'idée d'un affranchissement, de l'exercice d'une liberté. Et puis ça finit quand même par pourrir de l'intérieur, sans doute parce que je me fais toujours rattraper par la mélancolie...»(2), constate le cinéaste né en 1968.

Fasciné par les bouleversements et la fin des époques, il ne cesse de filmer les temps qui changent, dressant notamment le portrait somptueux et viscontien d’un "Saint Laurent" (2014) en voie d’extinction: «Ce qui me touche le plus au monde, c'est la beauté des choses qui se terminent. Ce qui ne veut pas dire, j'espère, que mes films sont réactionnaires. Ce n'est ni le regret des choses passées qui m'attire ni l'idée que le monde était nécessairement mieux avant. Dans "l'Apollonide", il ne s'agit pas de suggérer que la prostitution dans les maisons de passe était plus enviable que l'arrivée des filles sur le trottoir. Simplement, la fermeture de ces maisons dit quelque chose sur les transformations politiques et sociales qui ont eu lieu au tournant d'un XXe siècle qu'on avait rêvé plus progressiste et qui s'est avéré le temps des pires horreurs que l'humanité ait connues. Cette mise à mort de l'espérance s'accorde à la précarité de plus en plus grande de la beauté. On vit aujourd'hui avec le sentiment d'une décadence accélérée des choses»(2), assure Bertrand Bonello.


Pour le cinéaste, «"l'Apollonide" et "Saint Laurent" (photo) sont deux films presque jumeaux. Ils sont un peu pensés de la même manière, ils ont le même sens du temps. Ce sont deux huis clos et deux films d’époque qui s’inscrivent dans un univers assez riche ; d’un côté, les maisons closes, et de l’autre, la haute couture. Ils fonctionnent tout deux comme des opiacés.»(3) 


La programmation que consacre la Cinémathèque de Toulouse à Bertrand Bonello prend la forme d’une rétrospective des films du cinéaste, soit la projection de ses courts métrages et de dix longs métrages de fiction, documentaires, etc. On le verra également en acteur aux côtés de Jeanne Balibar dans "le Dos rouge", d’Antoine Barraud, et on découvrira deux films qui l’ont nourri durant l’écriture de "Nocturama" ("Rio Bravo" de Howard Hawks, "Assaut" de John Carpenter). Enfin, une carte blanche qui lui a été confiée permettra de voir ou revoir cinq films de sont choix : "le Diable probablement" de Robert Bresson, "les Nuits de la pleine lune" d’Éric Rohmer, "Chromosome 3" de David Cronenberg, "Twin Peaks, Fire walk with me" de David Lynch, "Close-up" de d’Abbas Kiarostami.


Jérôme Gac


(1) Télérama (27/09/2014)
(2) Le Monde
(21/09/2011)
(3) Les Inrocks
(02/01/15)


Rétrospective et carte blanche, du 10 janvier au 1er février ;
Rencontre avec B. Bonello, vendredi 20 janvier, 19h00.

La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.