vendredi 27 janvier 2017

L’humaniste




















La Cinémathèque de Toulouse affiche une rétrospective dédiée au cinéaste japonais Akira Kurosawa.

Après la signature de la paix entre les États-Unis et le Japon, en 1951, les films japonais s’imposent aussitôt dans les festivals européens. L’Europe découvre une cinématographie jusque-là inconnue lorsque "Rashômon", d’Akira Kurosawa, obtient le Lion d’or à Venise cette année-là, propulsant le cinéaste en fer de lance du cinéma japonais. Né en 1910, celui-ci venait alors de réaliser "l'Ange ivre" (1948) - confrontation d’un médecin alcoolique et d’un jeune homme refusant de traiter sa tuberculose - qui marque sa rencontre avec son acteur fétiche Toshiro Mifune, avec lequel il totalisera seize collaborations.

Entre film noir américain et expressionnisme européen, "l'Ange ivre" est un grand succès à sa sortie au Japon et lance la carrière du cinéaste et celle de l’acteur. Ils se retrouvent l’année suivante dans "Chien enragé", errance d’un policier en quête de son pistolet de service dérobé par un pickpocket. Mifune y partage encore l’affiche avec Takashi Shimura, l’autre acteur fétiche de Kurosawa. Deux œuvres dont le style est caractéristique des films qu’il signe durant cette période, où la fièvre du réalisme urbain se mêle à un humanisme fertilisé sur les ravages causés par la guerre.


Se détournant des studios de l’époque, Kurosawa s’est libéré des conventions en créant sa société de production. S’il s’emploie à restituer les mutations de la société japonaise de sont temps, il sera surtout célébré pour ses films historiques. Mais le cinéma de Kurosawa est toujours traversé par un humanisme triomphant qui ne cesse de s’approfondir au fil des années. En 1975, "Dersou Ouzala" (photo) - Oscar du film étranger - décrit ainsi une amitié transgénérationnelle avec pour décor les splendeurs de la taïga soviétique. Toujours au plus près de ses personnages, le cinéaste atteint l’universel tout au long d’une filmographie s’étalant, dès 1943, sur cinquante années d’activité.

Influencé par la culture occidentale, il réalise en 1951 "l’Idiot", d’après Dostoïevski, et signe en 1957 deux adaptations de classiques européens : "les Bas-fonds" d’après la pièce de Gorki, et "le Château de l’araignée" d’après "Macbeth", de Shakespeare - il se serait également inspiré d"Hamlet" en 1960, pour "les Salauds dorment en paix". Après avoir obtenu la Palme d’or à Cannes pour "Kagemusha", il livre en 1985 "Ran", une transposition du "Roi Lear" dans le Japon du XVIe siècle. À 73 ans, soit l’âge du Roi Lear, il est alors au sommet de son art.

Adulé par de nombreux artistes, Kurosawa voit ses chefs-d’œuvre recyclés en Occident: "Les Sept samouraïs" (1954) et "Yojimbo" (1961) deviennent "les Sept mercenaires" en 1960 et "Pour une poignée de dollars" en 1964. Dix-neuf ans après la disparition du maître japonais, vingt-quatre de ses films sont projetés cet hiver à la Cinémathèque de Toulouse.


Jérôme Gac


Du 27 janvier au 15 mars, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


vendredi 6 janvier 2017

Né en 68


















La Cinémathèque de Toulouse invite le cinéaste Bertrand Bonello pour une rétrospective et une carte blanche.
 

Musicien de formation, Bertrand Bonello est un cinéaste autodidacte : «J'avais mon propre groupe, modestement baptisé Bonello, mais nous n'avons jamais percé. A l'époque, on n'avait pas encore vécu la révolution des “home studios”, on ne pouvait pas bricoler chez soi et se produire seul. La scène française était minuscule. C'était la grande époque du Top 50, tout était formaté, il fallait un 45 tours à succès pour avoir la chance d'enregistrer un album. Rien n'avançait. Épouvantable ! J'ai cette époque en horreur. J'étais devenu musicien de studio pour des artis­tes comme Françoise Hardy, Elliott Murphy ou Carole Laure. Je gagnais bien ma vie, mais j'étais pris de panique à l'idée que, le temps passant, je pourrais atteindre le pic de ma carrière en jouant, à 40 ans, derrière Johnny Hallyday. "Stranger than Paradise", de Jim Jarmusch, m'a laissé entrevoir que le cinéma pouvait être aussi excitant que la musique»(1), raconte Bertrand Bonello.

En 1996, il finance son premier court métrage, "Qui je suis" – d'après un poème autobiographique de Pier Paolo Pasolini – avec le cachet d’une tournée. Il quitte alors sa première vocation mais composera désormais lui-même la musique de ses films. Son premier long métrage, "Quelque chose d'organique", sort en 1998. Trois ans plus tard, "le Pornographe" laisse entrevoir un univers aux obsessions qui se confirmeront à chaque étape d’une filmographie atypique couronnée en 2016 par le flamboyant "Nocturama". Sexe et huis clos sont en effet déjà au menu du "Pornographe", portrait d’un réalisateur en plein tournage dans une maison bourgeoise. 

«Je crois que ça vient du fait que je m'intéresse d'abord à des lieux marginaux, et qu'il se trouve que ces lieux ont souvent un rapport avec la sexualité. Dans "le Pornographe", c'était le milieu un peu inavouable du porno, dans "Tiresia" (2003), c'était la transformation mythologique, dans "l'Apollonide" (2011), c'est le huis clos du lupanar. Mais je ne me considère pas pour autant comme un cinéaste qui travaille spécifiquement cette question du sexe, comme peut l'être, par exemple, Catherine Breillat. Le huis clos oui, mais dans le sens le plus noble du terme. Un lieu qui coupe du réel et qui permet une infinité de choses qui tendent à le réinventer. Il s'agit de recréer un monde dans le monde. Il y a aussi dans le huis clos l'idée d'un affranchissement, de l'exercice d'une liberté. Et puis ça finit quand même par pourrir de l'intérieur, sans doute parce que je me fais toujours rattraper par la mélancolie...»(2), constate le cinéaste né en 1968.

Fasciné par les bouleversements et la fin des époques, il ne cesse de filmer les temps qui changent, dressant notamment le portrait somptueux et viscontien d’un "Saint Laurent" (2014) en voie d’extinction: «Ce qui me touche le plus au monde, c'est la beauté des choses qui se terminent. Ce qui ne veut pas dire, j'espère, que mes films sont réactionnaires. Ce n'est ni le regret des choses passées qui m'attire ni l'idée que le monde était nécessairement mieux avant. Dans "l'Apollonide", il ne s'agit pas de suggérer que la prostitution dans les maisons de passe était plus enviable que l'arrivée des filles sur le trottoir. Simplement, la fermeture de ces maisons dit quelque chose sur les transformations politiques et sociales qui ont eu lieu au tournant d'un XXe siècle qu'on avait rêvé plus progressiste et qui s'est avéré le temps des pires horreurs que l'humanité ait connues. Cette mise à mort de l'espérance s'accorde à la précarité de plus en plus grande de la beauté. On vit aujourd'hui avec le sentiment d'une décadence accélérée des choses»(2), assure Bertrand Bonello.


Pour le cinéaste, «"l'Apollonide" et "Saint Laurent" (photo) sont deux films presque jumeaux. Ils sont un peu pensés de la même manière, ils ont le même sens du temps. Ce sont deux huis clos et deux films d’époque qui s’inscrivent dans un univers assez riche ; d’un côté, les maisons closes, et de l’autre, la haute couture. Ils fonctionnent tout deux comme des opiacés.»(3) 


La programmation que consacre la Cinémathèque de Toulouse à Bertrand Bonello prend la forme d’une rétrospective des films du cinéaste, soit la projection de ses courts métrages et de dix longs métrages de fiction, documentaires, etc. On le verra également en acteur aux côtés de Jeanne Balibar dans "le Dos rouge", d’Antoine Barraud, et on découvrira deux films qui l’ont nourri durant l’écriture de "Nocturama" ("Rio Bravo" de Howard Hawks, "Assaut" de John Carpenter). Enfin, une carte blanche qui lui a été confiée permettra de voir ou revoir cinq films de sont choix : "le Diable probablement" de Robert Bresson, "les Nuits de la pleine lune" d’Éric Rohmer, "Chromosome 3" de David Cronenberg, "Twin Peaks, Fire walk with me" de David Lynch, "Close-up" de d’Abbas Kiarostami.


Jérôme Gac


(1) Télérama (27/09/2014)
(2) Le Monde
(21/09/2011)
(3) Les Inrocks
(02/01/15)


Rétrospective et carte blanche, du 10 janvier au 1er février ;
Rencontre avec B. Bonello, vendredi 20 janvier, 19h00.

La Cinémathèque de Toulouse, 69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.