mercredi 11 octobre 2017

Jardinier des marges
















La Cinémathèque de Toulouse projette six films de Derek Jarman, cinéaste anglais disparu en 1994.

Plasticien, Derek Jarman signe plusieurs courts expérimentaux en super 8, avant de se faire remarquer en 1975 avec le solaire et rugueux "Sebastiane", son premier long tourné entièrement en latin, une splendide célébration du martyre de Saint Sébastien en icône homoérotique. Suivront encore des courts, mais aussi des spots publicitaires, des vidéos clips (Marianne Faithfull, The Smiths, Pet Shop Boys, Patti Smith) et dix autres longs métrages. Dans la foulée du premier, il tourne "Jubilee", errance extravagante au cœur du mouvement punk londonien. Entre pur classicisme, esthétique contemporaine et manifeste politique, son incontournable trilogie élisabéthaine débute en 1980 avec "The Tempest", se poursuit avec "The Angelic Conversation" - deux adaptations shakespeariennes - avant de s’achever en 1991 avec "Edward II", d’après Christopher Marlowe. 


En 1986, le fameux et somptueux biopic "Caravaggio" (photo) marque sa première collaboration avec Tilda Swinton qui deviendra sa muse, puis sa veine underground s'affirme l’année suivante dans "The Last of England", évocation expérimentale et subversive du déclin de l’empire britannique. En 1989, "War Requiem" sublime la célèbre partition de Benjamin Britten, alors que le plus classique "Wittgenstein" s’intéresse à des épisodes de la vie du philosophe autrichien qui idolâtrait Carmen Miranda. Son dernier film, "Blue", coïncide avec la publication de son ouvrage "Chroma". Entre deux poèmes et des morceaux de musique, sur un écran irradié de bleu de bout en bout, il y livre sa vie quotidienne avec le virus du sida qui l’a rendu aveugle. 


Jarman meurt en 1994, juste avant que l’âge légal des relations homosexuelles en Grande Bretagne ne soit abaissé à 18 ans. Activiste, en lutte contre la politique de Margaret Thatcher, il avait notamment milité pour aligner cet âge légal avec celui en vigueur pour les hétéros, soit 16 ans. Derek Jarman était aussi jardinier : il avait choisi un parterre de galet proche de la mer, dans le Kent, pour y faire pousser ses plantes près d’une centrale nucléaire - «le paradis d’un ange moqueur, avec vue sur l’apocalypse»(1), écrivait Gérard Lefort. Toujours insaisissable, il cultivait l’art de l’anachronisme dans ses films d’époque et s’appliquait à relier des univers esthétiques à des contextes inattendus (des punks à Buckingham Palace, des militants gays à la cour d’Edward II). 


Poète des marges, esthète en colère, il laisse des visions baroques à la gloire des corps. Pour le journaliste Gérard Lefort, «à regarder le ciné-Jarman on songe souvent aux splendeurs du muet, au cinéma primitif, à celui de Méliès. […] Le cinéma de Jarman est comme une fiole de poppers sous nos narines endormies. À respirer à fond, avec les effets afférents dénombrés par l’impeccable Tilda Swinton : “Le foutoir, l’argot, la musique de Simon Fisher Turner, les vrais visages, l’intellectualisme, la mauvaise humeur, la bonne humeur, l’insolence, les normes, l’anarchie, le romantisme, le classicisme, l’optimisme, l’activisme, la jubilation, l’orgueil, la résistance, l’esprit, la lutte, les couleurs, la grâce, la passion, la beauté”.»(1)


Jérôme Gac


(1) Libération (26/03/2008)


Rétrospective, du 11 au 27 octobre, à la Cinémathèque de Toulouse,
69, rue du Taur, Toulouse. Tél. : 05 62 30 30 11.


Et aussi : "Chroma", mise en scène de Bruno Geslin,
du mercredi 11 au jeudi 12 octobre, 20h00, au Théâtre Sorano
,
35, allées Jules-Guesde, Toulouse. Tél. : 05 32 09 32 35.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire